Excerpt:
J'ai le plaisir de présenter aux lecteurs le plus récent des poèmes que l'admirable légende de Tristan et Iseut a fait naître. C'est bien un poème, en effet, quoiqu'il soit écrit en belle et simple prose. M. J. Bédier est le digne continuateur des vieux trouveurs qui ont essayé de transvaser dans le cristal léger de notre langue l'enivrant breuvage où les amants de Cornouailles goûtèrent jadis l'amour et la mort. Pour redire la merveilleuse histoire de leur enchantement, de leurs joies, de leurs peines et de leur mort, telle que, sortie des profondeurs du rêve celtique, elle ravit et troubla l'âme des Français du douzième siècle, il s'est refait, à force d'imagination sympathique et d'érudition patiente, cette âme elle-même, [II] encore à peine débrouillée, toute neuve à ces émotions inconnues, se laissant envahir par elles sans songer à les analyser, et adaptant, sans y parvenir complètement, le conte qui la charmait aux conditions de son existence accoutumée. S'il nous était parvenu de la légende une rédaction française complète, M. Bédier, pour faire connaître cette légende aux lecteurs contemporains, se serait borné à en donner une traduction fidèle. La destinée singulière qui a voulu qu'elle ne nous parvînt que dans des fragments épars l'a obligé de prendre un rôle plus actif, pour lequel il ne suffisait plus d'être un savant, pour lequel il fallait être un poète.